Le secret inédit des syndicats d’Air France pour influencer les grands changements sociaux et éviter la catastrophe

Air France et ses syndicats : enjeux, conflits et nouvelles dynamiques sociales #

Panorama des principales organisations syndicales chez Air France #

Le paysage syndical d’Air France se distingue par une pluralité d’acteurs représentatifs, imposant une dynamique de négociation complexe. Les principaux syndicats, légitimés lors des élections professionnelles, représentent spécifiquement les différentes catégories de personnels : pilotes, personnels navigants commerciaux (PNC), personnels au sol.

  • Syndicat National des Pilotes de Ligne (SNPL Air France ALPA) : Reconnu comme interlocuteur privilégié des pilotes d’Air France, il défend l’amélioration des conditions de vol, la sécurité aérienne et s’est distingué par des mobilisations sur la répartition du travail avec Transavia France.
  • SPAF (Syndicat des Pilotes d’Air France) : Force active dans la défense des prérogatives des commandants de bord, il a fortement pesé lors des grèves touchant l’expansion du volet low-cost du Groupe.
  • Syndicat National du Personnel Navigant Commercial (SNPNC-FO) et UNAC (Union des Navigants de l’Aviation Civile) : Ils fédèrent les exigences du personnel cabine, avec pour dérivées les rémunérations de base, la protection sociale et les plannings de rotation.
  • CGT Air France / CFDT / FO / UNSA Aérien / CFE-CGC : Ces organisations multi-catégorielles s’investissent sur l’ensemble du personnel sol, soulevant les problématiques liées à la gestion de carrière, à la formation et à la précarité des emplois sous-traités.

Après les élections de mars 2023, ces syndicats ont renouvelé leur légitimité auprès des salariés. Leur influence se mesure à leur capacité à mobiliser, mais aussi à s’extraire des logiques catégorielles pour bâtir des fronts communs lors des moments décisifs, notamment quand les projets de modernisation sont à l’agenda du siège de Roissy-CDG, Île-de-France.

Le rôle décisif des syndicats dans l’évolution des accords collectifs #

Air France-KLM, pilotée par des plans de transformation tels que Transform 2015 puis Perform 2020, a vu les syndicats jouer un rôle déterminant dans l’encadrement social de ces mutations. Les accords collectifs négociés ces dix dernières années balisent le terrain où se rencontrent exigences de compétitivité et garanties sociales.

  • Refonte de l’accord collectif PNC (2022-2023) : Les négociations ont porté sur l’équilibre entre optimisation des plannings et préservation des repos réglementaires, avec des avancées sur la prévisibilité du temps de travail et les indemnités de déplacement.
  • Accord Pilotes : Face au projet de filialisation des activités low-cost avec Transavia, le SNPL a obtenu, non sans bras de fer, de solides gardes fous sur la mobilité des effectifs et la clarté des parcours de carrière.
  • Dialogue tripartite post-pandémie : Sous pression des pertes records enregistrées en 2020 (jusqu’à -7 milliards € pour le groupe), le plan social soumis à consultation a fait l’objet d’une gestion co-construite permettant la sauvegarde de milliers de postes par des dispositifs d’activité partielle longue durée (APLD).

Le modèle de négociation propre à Air France se caractérise par des cycles répétés d’ouverture des discussions en Comité Social et Économique Central (CSEC), extensions de droits, clauses de revoyure régulières et mécanismes de médiation, parfois arbitrés par la Direction Générale du Travail et le Ministère des Transports.

Grèves et mouvements sociaux : impacts et stratégies #

Les grèves restent le levier le plus visible de pression syndicale chez Air France, avec des répercussions immédiates sur le trafic, la perception publique et la performance opérationnelle. Le conflit autour de la création de Transavia Europe en 2014, mené par le SNPL et le SPAF, s’est traduit par une paralysie partielle du réseau court et moyen-courrier, coûtant à la compagnie environ 400 millions € en dix jours.

  • Grève des Pilotes d’avril 2025 : Le SPAF avait posé un préavis mobilisateur, suspendu in extremis après l’annonce de concessions sur l’accord de détachement et la rémunération variable, illustrant la stratégie de négociation-rétorsion.
  • Mouvements du Personnel Navigant Commercial (PNC) en décembre 2022 et janvier 2023 : Les syndicats UNAC et SNGAF ont déposé un préavis durant les périodes critiques de trafic, ciblant la renégociation des clauses de présence à bord et l’amélioration des conditions d’hébergement à l’escale.
  • Grève des personnels au sol et techniques : À l’orée de l’été 2024, une mobilisation portée par la CGT Air France sur les salaires a entrainé une réduction temporaire de 30% des dessertes au départ de Paris-Orly.

Les tactiques syndicales alternent alors la médiatisation, l’appel à la solidarité intersyndicale et la recherche d’un appui politique. La direction, pilotée par Ben Smith, Directeur Général depuis 2018, privilégie une gestion ferme, combinant mesures d’urgence (réaffectation des vols), communication de crise sur les plateformes sociales et relance rapide des négociations techniques.

Conventions salariales et revalorisations : enjeux des derniers accords #

Les discussions sur la rémunération revêtent une dimension sensible, renforcée par le climat inflationniste et la pression sur la maîtrise des coûts du secteur aérien. En septembre 2023, un accord salarial a été conclu, comportant une hausse générale de 4% pour la plupart des catégories, la revalorisation de l’indemnité de vol et la mise en place d’une prime exceptionnelle liée à la reprise post-COVID.

  • Négociation spécifique avec le corps des pilotes : Les représentations SNPL et SPAF ont obtenu la revalorisation de la grille des indemnités liées aux vols long-courrier, tout en refusant la hausse de la flexibilité imposée par le plan Perform 2020.
  • Zonage d’annualisation : Pour les PNC, la négociation a abouti à une adaptation des seuils de déclenchement des heures supplémentaires, avec intégration d’une clause de relèvement automatique en cas de pic d’activité exceptionnel.
  • Bilan 2024 sur le personnel sol : Relèvement du salaire minimum d’entrée chez Air France à 2 150 € brut, évolution soutenue par la CFDT et l’UNSA, en contrepartie d’un gel des effectifs sur deux ans.

Les points de blocage ont concerné la pérennité des politiques de participation et d’intéressement, la question des écarts de rémunération homme/femme, et l’intégration du télétravail pour certaines fonctions supports de Roissy et Montreuil. Le dialogue s’est cristallisé autour d’une exigence de négociation annuelle obligatoire (NAO) adressée à la direction.

Innovations sociales et défis futurs pour le dialogue collectif #

Le secteur aérien, confronté à une transition accélérée, impose à Air France de moderniser ses approches sociales. La digitalisation des processus, l’automatisation de l’assistance clientèle avec des chatbots IA (ex : « Air France Assistant ») ou encore l’usage de plateformes collaboratives pour ajuster les plannings soulèvent à la fois des espoirs d’efficience et des inquiétudes sur la préservation des métiers.

  • Déploiement du télétravail : Depuis 2021, plusieurs accords-cadres ont institué des jours télétravaillés pour le personnel administratif, sur la base du volontariat, dans le sillage de la crise sanitaire et sous l’impulsion de la CFE-CGC.
  • Discussions sur la Qualité de Vie au Travail (QVT) : Air France a intégré au plan RH 2024-2027 la création d’espaces de détente, la prévention des risques psycho-sociaux (RPS) et des dispositifs d’écoute psychologique, avec un budget dédié de plus de 2 millions €.
  • Évolutions réglementaires européennes : L’application du Règlement (UE) 2019/1149 concernant la protection des lanceurs d’alerte a entraîné la création d’un canal confidentiel de remontée des risques au sein du groupe, piloté conjointement avec les partenaires sociaux.

Les syndicats s’emparent de ces thèmes pour fixer des lignes rouges contre une externalisation accrue ou la réduction d’effectifs par recours excessif aux outils numériques. La sécurité des vols, sujet central pour le SNPL, fait, quant à elle, l’objet de formations conjointes avec la Direction Sécurité, notamment sur l’intégration de nouveaux systèmes embarqués en 2025.

L’équilibre entre modernisation de l’entreprise et défense des acquis sociaux #

Sculptant l’identité d’Air France, l’équilibre entre préservation des acquis et adaptation aux nouveaux impératifs de rentabilité constitue le cœur des débats collectifs. La signature d’accords évolutifs s’accompagne inévitablement de concessions : la direction de Ben Smith pousse à l’accélération de la simplification des processus et au développement du modèle multi-marques (Air France, KLM, Transavia), tandis que les syndicats réaffirment la nécessité d’un socle social robuste.

  • Accords de mobilité interne : Ils ont permis d’éviter nombre de départs contraints après la pandémie en orientant les personnels impactés vers de nouvelles fonctions, notamment sur les lignes « rapatries » ou auprès de Transavia France.
  • Rationalisation des effectifs : Les plans de départs volontaires (PDV), mis en place en 2020 et 2021, illustrent cette tension permanente, avec plus de 7 500 postes supprimés au sein du groupe en deux ans.
  • Ouverture à la négociation de ruptures conventionnelles collectives : Dispositif activé à la demande de l’UNSA et de la CGT pour encadrer les suppressions d’emplois et garantir un accompagnement social individualisé.

Notre avis rejoint celui de nombreux économistes spécialisés du secteur aérien : seule une co-construction ambitieuse, paritaire, des nouveaux équilibres permettra à Air France de demeurer compétitive face à Lufthansa Group ou au modèle disruptif de Ryanair Holdings plc, sans sacrifier ce qui fait la richesse sociale du pavillon français. Les prochaines années verront probablement l’émergence de dispositifs hybrides, entre innovations RH et socle garanti de droits historiques pour les salariés du groupe.

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